les fleurs du mal

- Quels sont les souvenirs marquants de ton enfance ? de sa naissance à son premier souvenir, neuf ans se sont consumés sans laisser de trace. et jusqu'à la mort de sa mère, tout est resté trouble et désarticulé. la première chose dont il se rappelle est l'absence de la femme qui l'a élevé et aimé, le vide qu'elle a laissé, la douleur de sa disparition même si parfois il semblait qu'elle vienne le visiter la nuit. cette ombre qui se retire continue de hanter ses nuits, les incompréhensions et mystères autour de la mort de sa mère ne l'ont jamais laissé en paix. mais la vie a continué de couler, plus comme les rapides du colorado que comme un fleuve tranquille, et silas continua d'être marqué par son départ d'irlande et sa vie creuse avec son père. il ignorait en quoi il pouvait le déranger, surement qu'il l'aurait voulu mort. mort et empaillé. il ne fallait jamais rire ni hausser le ton, il ne fallait jamais chahuter ou faire du bruit, il ne fallait jamais passer plus de trois secondes avant d'exécuter un de ses ordres, il ne fallait jamais lui répondre, jamais émettre d'avis contraire au sien, jamais émettre d'avis tout court. il ne fallait pas être malade, ou, d'une quelconque façon, commencer à l'emmerder. son enfance s'acheva lorsqu'il avait usé de toute sa naïveté, à l'age de treize ans.

   - Et maintenant, que deviens-tu ? silas est à présent devenu un monstre sans paroles et sans écoute, obsédé par ses démons, par les pertes successives qui font qu'il ne s'attache plus. il prend des coups et en rend pour gagner sa vie comme une machine enrayée, il répète les mêmes actes chaque jour sans trop savoir pourquoi. la seule partie de son existence qui n'est pas constante repose sur zara, sa gouvernante, qui l'emmerde d'ailleurs au plus haut point. il ne voyait pas l'intérêt de faire du ménage dans sa maison, de faire attention à tel objet ou à telle pièce, à vrai dire, il ne voyait à présent l'intérêt de rien. pourtant, elle continue d'astiquer et de râler continuellement, de le pousser pour qu'il remonte au plus haut ou qu'il arrête tout quand elle sent que ses neurones se perdent, de devenir folle lorsqu'il rentre éméché et qu'il commence à déshabiller une quelconque conquête sur le canapé du salon. elle doit se boucher les oreilles, qu'elle dit. qu'elle se les bouche. elle pourrait très bien aussi fermer sa gueule, ça l'arrangerait. qu'est ce que ça peut lui foutre que sa vie parte en lambeaux, tant qu'elle continue à être payée.

   - A ton avis, qu'est-ce que les gens pensent à ton sujet ? certains adulent silas parce qu'il est parti de rien, du vide que sa mère a laissé et des insultes qu'un père à distribué pour devenir quelqu'un de respecté. il a travaillé son corps et son mental et s'est construit une vie qu'il a perdu. beaucoup penseront que c'est de sa faute que sa femme et sa fille l'ont quitté - en effet, personne sauf zara ne sait que la petite nina est morte. affaire étouffée. tout le monde pense qu'elle gambade quelque part à côté des jambes interminables de sa mère. alors ils diront que c'est un connard qui a gaspillé sa vie dans l'alcool et la violence au lieu de faire attention à sa famille. d'autres encore penseront qu'il a trompé son ex-femme, vu les photos actuelles dans les tabloïds. ils pensent ce qu'ils veulent, silas n'en a rien à foutre.

   - Quel est ton plus grand rêve ? son plus grand rêve et sa plus grande illusion font partie du même bateau - il espère indéniablement retrouver un jour sa fille. il n'arrive pas à se le mettre en tête. morte. morte. pourtant, il était aux funérailles, il a vu son petit corps mis tout terre, il n'a pas su la protéger, il n'a pas su, putain.

   - Quel est LE secret que tu caches ? aucune idée si l'on peut dire de son secret qu'il est « caché » car tout le corps de silas, chaque cellule, chaque organe, chaque muscle qui roule sous sa peau crie au monde entier son malheur. chaque bouteille d'alcool, chaque cigarette, chaque fille sans nom et chaque coup montrent à quel point il à la haine, à quel point sa détresse est profonde, à quel point il est submergé. son regard à cet aspect creusé de tous ceux qui sont contraints de vivre en retrait du monde, un peu comme un mécanisme de défense, comme si l'unique façon de s’accommoder de son existence était de faire comme si tout cela arrivait à un autre. le corps de silas tout entier incarnait l'indifférence déterminée par rapport à tout ce qui l'entourait. un tremblement de terre, un carambolage, un attentat, peu importe. on aurait pu en faire une statue.

   - L'argent, le succès, la célébrité, ça représente quoi pour toi ? son ancienne vie. la mort de sa fille. sa culpabilité. il ne veut pas revenir dans la lumière et ne veut pas s'attacher. même s'il n'a plus rien à perdre, les souvenirs sont trop difficiles à supporter. se remémorer sa sublime femme à ses côtés lors des victoires et de la seule défaite qu'il a vécue, sa fille qui l'attendait sagement à la maison, il ne pouvait pas. aujourd'hui, il ne savait pas si son ex-femme avait recommencé sa vie ou si elle l'avait passée comme lui, à se détruire. sa seule certitude est que ses neurones se barrent à vitesse grand V et qu'il n'en aura bientôt plus s'il continue à se battre sans but et sans protection. il faut faire quelque chose, pourtant il n'a rien envie de faire.

   retrouver sa fille. se retrouver. envoyer chier zara, une fois de plus. se vider les couilles. se vider la tête. boire un bon whisky. s'entraîner, pour rien. aller sur la tombe de sa mère. se cogner la tête contre les murs. taper. taper. taper. se faire cogner pour oublier.