minutes to midnight (felix)

J'arrivais devant l'entrée de l'Amnesia. Ne prenant pas la peine de faire la queue, je passais sur le trottoir pour dépasser ces jeunes insouciants qui me regardaient d'un air ahuris. La célébrité avait ses avantages, comme celui de pouvoir entrer facilement dans n'importe quel club en se présentant devant le videur. Accompagné de certains collègues et amis, le grand baraqué de l'entrée nous laissa entrer sans broncher et me salua d'une accolade virile. A force de venir, il me connaissait. Mon réseau social était grand, mon répertoire aussi. A chaque situation, sa solution. A chaque problème, son numéro. Pénétrant dans l'enceinte du club, je retirais ma veste en cuir que je donnais aux vestiaires et faisais enfin mes premiers dans la grande salle. Vêtu d'un t-shirt blanc moulant et d'un pantalon noir, je scrutais les les lieux, observant le monde qui s'y trouvait déjà. Il était un peu plus de minuit et le nightclub  se remplissait toujours. Je me tenais donc devant la piste, les mains sur les hanches, quand on me tendit un verre. Une vodka martini. J’attrapais le verre, trinquais avec mes amis et bus une gorgée. Le sourire aux lèvres, je n'eus même pas le temps de me retourner qu'une vague de fans me bloquait déjà la route.

Sourire aux lèvres, je les accueillis avec un certain plaisir. J'aimais être au contact des gens. J'aimais leur faire plaisir. Je signais quelques autographes, prenais quelques photos en leur compagnie. Je faisais ce que j'avais toujours fais. J'étais ce mec de la télé sociable et qui n'était pas contre une photo ou deux. Certaines me parlaient, d'autres hommes flirtaient. Je ne les rembarrais et leur retournais un sourire plus que charmeur quand mon regard croisa alors le sien. Felix. Il se trouvait à quelques mètres de moi. Je frémis. « Où est mon verre ? » Lançais-je avec humour pour ne pas trahir ma soudaine stupeur. En quelques secondes, ma vodka martini me retrouvait et je bus le verre cul sec. Je me donnais de la force pour la suite. S'il était présent, ma soirée ne serait pas comme je l'aurais imaginé. Si Felix me regardait, je n'agirais pas comme je l'aurais fais en son absence. Et s'il venait me parler, j'ignorais comment je réagirais. Je ne l'avais pas revu depuis notre séparation. Je n'avais pas pu déverser cette colère, cette haine et cette rancune qui me rongeaient de l'intérieur depuis tous ces mois. Je lançais de nouveaux regards vers cet homme que j'avais aimé, vers cet homme que j'aimais toujours, et serrais les poings par peur de le voir s'approcher dans peu de temps.

Les aiguilles s'agitent sur le cadran et Felix se décide enfin à bouger. Ce soir, il ne restera pas cloîtré chez lui. Il a envie de s'amuser un peu. La journée a été longue. Il a bien besoin d'une pause. Il se rend à l'Amnesia. Ce club si branché qu'il faut prier pour y entrer. Lui, c'est un homme de l'ombre. Quelqu'un du petit peuple. Felix fait la queue, comme tout le monde. C'est plus ou moins long. Son esprit est hanté par Colt, donc toujours occupé. Il ressasse sans s'arrêter, c'est devenu routinier.

Felix fait son entrée dans le club. On peut remercier sa tête d'angelot. Il bouscule et est bousculé en retour. L'endroit est plein à craquer. Il se faufile entre les gens, ivre ou non, fille ou garçon. Felix n'a qu'une seule destination. Le bar. Le whisky, le petit réconfort, le truc qui rend plus fort. Sauf qu'il croise une amie. Elle lui parle, trop longtemps à son goût. Il est sociable mais là, il ne veut pas écouter, il doit boire. Elle semble comprendre qu'il n'est pas décidé à jouer les psychologues. Elle, c'est celle qui a une vie qu'on peut qualifier de merde. Elle n'en loupe pas une. D'ailleurs, on lui a déjà renversé un verre dessus. Sa robe blanche en pleure encore.

Le trentenaire commande un whisky. Rien de très surprenant. Felix regarde le liquide, le fait légèrement tourner. Il est comme absorbé par cette image. Sauf qu'elle disparaît lorsqu'il porte le verre à sa bouche. Adieu whisky. Felix en reprendrait bien un autre mais ce n'est pas raisonnable. Lui qui agit toujours logiquement ou presque, ce serait contre ses principes. Il se lève, l'esprit noyé par l'image de Colt. Soudain, il entend des flashs crépiter, de l'agitation. Une célébrité ? Felix, debout, se retourne pour croiser sa plus belle erreur. Colt. Là, comme un poisson dans l'eau. Il est une parfaite célébrité. Il signe des autographes, fait des sourires qui autrefois l'auraient rendu jaloux. Il est Colt, tout simplement. Felix l'observe depuis quelques secondes lorsque leurs regards se croisent. C'est étrange, peut-être gênant. Huit mois qu'ils ne se sont pas revus. La distance qui les sépare est minime.

Felix est surpris. Il était sur le point de s'en aller. Mais la présence de Colt, c'est un espoir. Oui, celui de réparer les choses. Felix déteste le voir flirter avec d'autres types. Colt lui lance d'autres regards mais Felix reste perplexe quant à leur signification. Ce n'est pas pour autant qu'il reste planté là. Felix s'avance, fait s'éloigner les fans trop collants à son goût. Il est enfin devant Colt. « On doit parler, tu ne penses pas ? » Sans que celui-ci n'ait le temps de réagir, Felix le prend par le bras. Il le traîne vers un coin plus tranquille. C'est une genre de terrasse. Elle est déserte. Felix s'empresse de refermer la porte derrière Colt. Ils ont besoin d'être seuls, que Colt soit d'accord ou non. Felix n'a pas le temps, ni l'envie, pour les politesses.

« Ecoute, ces huit mois m'ont permis de réaliser que j'ai fait une énorme erreur en te quittant. C'était vraiment con, peut-être un peu puéril. J'en pouvais plus de ta célébrité alors que je savais qui tu étais quand tout a commencé...Est-ce que tu me détestes pour ce que je t'ai fait ? »